Réseau pour des Cyclades Durables
Déclaration fondatrice
Sifnos 28/10/2023 (1)
Nous, les signataires, étions à Sifnos, venant de différentes îles des Cyclades, à l’occasion de notre participation à l’atelier sur le thème : « Le paysage fragile et artisanal de Sifnos, aujourd’hui en danger ! » où nous avons constaté que nous avons des points de vue et des inquiétudes communs pour l’avenir de ces Cyclades uniques. Considérant que nous exprimons bien plus de personnes que les présentes, nous avons décidé d’unir nos forces pour un avenir différent et durable pour nos îles.
1- Le problème :
Le paysage naturel et bâti des Cyclades, plus que millénaire, artisanal, unique et fragile, est en danger imminent de disparition définitive et irréversible de ses caractéristiques structurelles de base, malgré les obligations découlant de la législation européenne, de la Convention de Florence sur le paysage et de son intégration dans le cadre institutionnel grec existant.
Les îles Cyclades, qui depuis les années 1950 ont servi de rêve et de havre de paix et d’authenticité à des millions de personnes du monde entier, sont actuellement menacées par la surexploitation insensée de ces dons uniques et de l’image qu’elles ont créée dans le monde entier grâce à des constructions d’une échelle et d’une esthétique différentes.
Le développement touristique incontrôlé et les constructions incompatibles, qui, au cours de la dernière décennie, ont été liés à la pénétration agressive d’intérêts puissants dans la revendication de la terre des Cyclades sous la forme d’investissements immobiliers et stratégiques, ont considérablement augmenté l’abandon préexistant des terres agricoles. Le manque de ressources en eau, l’incapacité à gérer les déchets, le trafic et le bruit, l’altération du paysage insulaire, l’occupation et la dégradation des espaces publics par des plastiques à usage unique, des voitures, des chaises et tables, et des parasols, la dégradation des richesses marines sont une réalité quotidienne.
Combien de personnes une île peut-elle finalement accueillir, non seulement sans être modifiée, mais pour « résister » à la pression quotidienne de chaque élément de son capital unique, même si sa gestion est considérablement améliorée ? La capacité d’accueil a-t-elle déjà été dépassée, au moins sur certaines îles ?
L’inquiétude persistante de nombreux résidents, anciens et nouveaux, travailleurs et entrepreneurs, pour s’assurer des revenus suffisants pendant la courte saison touristique, a conduit à l’expression « ce sont deux mois, et ils vont passés », qui révèle l’agacement d’un nombre croissant d’entre eux face à la nouvelle situation de rythmes effrénés de 24 heures, où les conditions de travail de tous sont la première victime. Ceux qui ont choisi les îles comme résidence secondaire manifestent également leur mécontentement, tandis que plus d’un les quitte. Le surtourisme est là.
Sans ignorer les bénéfices économiques et, dans certaines îles, démographiques du tourisme, il semble que cette forme de monoculture ait atteint ses limites, puisque le capital (culturel, patrimonial, naturel, social, productif) qui permet sa (re)production semble s’effondrer. Le remplacer par un capital artificiel d’une autre forme – même si les nouveaux colons des îles n’ont pas d’image du passé à comparer – peut difficilement donner des résultats similaires. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est planifier et gérer l’environnement naturel et bâti, les ressources naturelles disponibles, protéger et renforcer le secteur primaire et l’économie locale, en vue d’assurer la cohésion des communautés locales et de relever les défis de la crise climatique dans l’optique de la durabilité et de l’autosuffisance des îles. Le développement du tourisme ne doit être qu’un des facteurs à discuter dans le cadre d’un plan de protection et de développement des îles.
2- Nos options :
Devant nous se présentent trois chemins qui mènent à trois résultats distincts :
- Business as usual : nous continuons à nous développer en mettant l’accent sur la « détente » et le tourisme de loisir sans contraintes spatiales et autres, avec peu de changements par rapport au statu quo et, bien sûr, avec de nouvelles infrastructures à grande échelle qui seront forcément nécessaires pour faire face à la surcharge des infrastructures existantes (désalinisation, ports, routes, aéroports, systèmes d’égouts, etc.) Cette perspective a bien sûr des conséquences relevantes, même au niveau de l’incapacité à respecter la loi à tous les niveaux, comme nous le voyons déjà avec l’occupation des espaces publics, les constructions illégales, l’exploitation illégale de magasins, la destruction de la flore et de la faune dans la mer et sur la terre, etc.
- Poursuite de la croissance du tourisme avec une diversification relative du produit dominant basée sur des restrictions spatiales dans l’immobilier (grandes installations et bâtiments dispersés) et des interventions significatives de gestion du trafic, des restrictions de la consommation des ressources et de la production de déchets basées sur la capacité de charge des îles et la prévention du sur-tourisme.
- Un Changement-renversement du modèle de développement existant en faveur d’un autre visant la durabilité qui inclut non seulement une économie qui continue à produire, mais aussi une société plus juste et plus cohésive et un environnement sain. En ce qui concerne le tourisme, qui sera toujours une partie importante de l’économie locale, mais pas la seule, il convient de choisir un modèle dont les normes tiennent compte de l’échelle des îles, des ressources disponibleset de la spécificité des communautés locales. Un modèle qui offre le bien-être aux visiteurs et aux résidents à travers la promotion des ressources locales (tourisme d’expérience).
3- Notre proposition :
Ceux d’entre nous qui sont déjà conscients de la nécessité d’une action urgente pour sauver le paysage cycladique et assurer la durabilité de nos îles, pensent que nous devrions viser à informer, sensibiliser et mobiliser les communautés locales vers la troisième version :: le renversement du modèle existant et la demande d’un autre modèle. Pour ce faire, nous devons changer les priorités qui donnent les résultats que nous connaissons actuellement et adopter des principes qui visent des îles durables et attrayantes.
Α. Pour un modèle équilibré de vie économique et sociale visant la durabilité.
La transformation du modèle de développement existant passe par le développement d’activités qui :
- s’orienteront vers un épanouissement du tourisme doux en coopération harmonieuse avec les secteurs primaire et secondaire et d’autres activités de service;
- protégeront et mettront en valeur les caractéristiques essentielles de la physionomie des Cyclades (culture, histoire, architecture, arts, traditions, goûts, arômes et environnement);
- feront appel aux artisans, aux connaisseurs d’hier et aux scientifiques d’aujourd’hui pour des interventions spécifiques;
- contribueront à disperser les visiteurs sur de plus longues périodes de l’année (automne, printemps, hiver), réduisant ainsi l’étouffement de l’été et la désolation des autres mois;
- contribueront à l’objectif de neutralité climatique.
Nous cherchons à orienter les Cyclades vers une organisation économique qui ne renoncera pas au tourisme, mais choisira le tourisme « lent » et à petite échelle, et non le tourisme en tant que monoculture. Une organisation économique qui sera compétitive, non pas par la quantité mais par la qualité des produits et des services produits, en intégrant les caractéristiques uniques de chaque île, tout en utilisant la tradition, les compétences et les nouvelles connaissances dans les limites fixées par chaque île. Cela permettra aux entrepreneurs et aux travailleurs ayant des conditions de travail et de vie satisfaisantes de gagner des revenus satisfaisants et de s’assurer une meilleure qualité de vie.
Β. Pour une coexistence équilibrée des sociétés insulaires modernes avec leur place unique.
La préservation des éléments de la physionomie cycladique nécessite un changement dans la gestion de l’espace et des ressources naturelles, en particulier dans le contexte de l’aggravation de la crise climatique.
Nous avons besoin d’une planification spatiale Nous avons besoin d’un aménagement du territoire qui tienne compte de la biodiversité et de la morphologie uniques du paysage des Cyclades, ainsi que des conditions particulières imposées par l’insularité et la situation existante sur les îles. Cet aménagement doit fournir des solutions compétitives pour le développement économique, social et culturel des îles, tout en préservant la beauté naturelle du paysage.
Avec un accent particulier sur :
- la protection des terres agricoles et de la production agricole ainsi que des terrasses en pierres sèches (en tant que monument inscrit au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO mais aussi en tant qu’infrastructure verte) et la protection des zones NATURA en évitant toute construction à l’intérieur de leurs limites
- la protection de tous les éléments anthropiques du paysage cycladique (sentiers, villages traditionnels, ouvrages techniques, fermes traditionnelles, fontaines, constructions agricoles, etc.)
- l’aménagement durable de l’espace maritime, la protection et restauration des zones côtières et de la biodiversité marine, la protection/restauration des zones humides
- la protection du paysage insulaire des effets de la crise climatique (érosion, sécheresse, risques d’inondation, canicules, etc.)
- la planification et l’aménagement des ressources énergétiques visant la neutralité climatique, mais en veillant à la protection du paysage (formes combinées d’énergies renouvelables, géothermie).
Mais aussi par des politiques (étatiques et locales) qui soutiendront :
- la production primaire et secondaire locale, le maintien, l’exploitation et la mise en valeur des variétés locales et les conditions de leur poursuite de la culture;
- une gestion efficace des déchets et des eaux usées avec l’objectif ultime du zéro déchet;
- le renforcement de l’autosuffisance des îles en soutenant autant que possible la connectivité et la coopération entre elles. (L’interconnexion côtière intra-cycladique, ainsi qu’une série d’autres interventions qui peuvent soutenir l’échange de produits entre les îles, joue un rôle crucial à cet égard);
- la protection des ressources en eau et la sécurisation de l’utilisation et de la distribution de l’eau en fonction des impératifs de durabilité, sous le contrôle et dans l’intérêt des seules communautés locales;
- la rééducation de tous, résidents et visiteurs, enfants, jeunes et adultes, en mettant l’accent sur l’éducation des plus jeunes, dans une nouvelle relation vivante avec le précieux paysage dans lequel nous avons la chance de vivre et d’être en contact, ainsi qu’avec les conditions historiques qui ont conduit à sa formation.
4- Notre action :
Nous devons agir et réagir immédiatement. Le caractère destructeur du mode de développement prédateur actuel a déjà eu un lourd impact sur nos îles et le rythme de sa propagation est rapide. Notre revendication collective doit être tout aussi dynamique.
Nous avons besoin de la participation active de tous : citoyens et institutions, tant locales que nationales, voire européennes et mondiales, qui comprennent l’importance particulière de nos îles.
Nous avons besoin de réseaux formels et informels pour co-construire et soutenir l’espoir d’îles cycladiques sûres, durables et prospères et pour garantir un soutien actif à notre vision et à notre action, en particulier de la part du sujet politique central à tout changement, à savoir les habitants de l’île eux-mêmes.
Avec cette déclaration, nous appelons à la mobilisation de tous ceux qui sont d’accord avec nos objectifs, afin de soutenir collectivement toutes les initiatives spécialisées que chacun des participants peut entreprendre, dans l’un des domaines infinis qui composent notre proposition.
Nous lançons la création du Réseau pour des Cyclades durables.
Signatures des 50 personnes qui ont participé à la réunion du 28. octobre à Sifnos
Une liste détaillée sera communiquée après signature par d’autres parties prenantes.
(1) Le texte a été rédigé par l’équipe de rédaction désignée lors de la réunion du 28 octobre à Sifnos, composée de : Tonia Panteliou, Yannis Spilanis, Nikos Chrysogelos, Eleni Tzirtzilaki, Monica Themou, Alkmini Paka.
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